Tiens-toi droite. Pas aussi raide ! Tu ferais mieux de t'asseoir. Regardes-moi dans les yeux quand tu me parles. Sois polie. Tu as le droit de ne pas l'aimer. N'aborde pas de sujet qui fâche. Vas jouer dans un coin. On t'appellera quand on aura besoin de toi. Non, tu ne peux pas inviter d'amie. Ça ne t'intéressera pas. C'est une histoire de grands. Tu ferais mieux d'apprendre tout ça par cœur. Ne lui dis surtout pas ça ! Fais comme tu le sens. Sois plus humble. N'oublies jamais d'où tu viens et qui tu es !

Oui, amen. Toujours sous les ordres de quelqu'un, Ayumi est riche. Trop riche selon certains, pas assez selon ses parents. Obéissante, gentille petite fille qui tourne, tourne en rond entre tous les ordres contraires qui ont toujours bercé sa vie. Ce qu'elle connait du monde extérieur ? Pas grand chose. Toujours quelque chose à faire dans sa petite tour d'ivoire, solitaire, qui à prendre des cours de piano, qui à s'occuper à coup de cérémonie du thé, qui à danser avec un balais dans le cul ou encore à arranger quelques fleurs pour son apprentissage de l'ikébana. En somme, à devenir la femme japonaise parfaite, la Yamato Nadeshiko suprême. Sans émotions ni envies, voilà ce qu'on attendait d'elle tandis qu'on l'abandonnait régulièrement dans leur grand manoir traditionnel de Kyoto, avec un père en voyage d'affaire et une mère mannequin encore trop célèbre pour témoigner ne serait-ce qu'un peu d'intérêt à sa progéniture. Seule ? Toujours. Après tout, la nourrice ne servait qu'à la materner comme un bébé, les domestiques à lui servir les repas à heures fixes, et ne parlons même pas du majordome qui la suivait partout pour mieux surveiller ses faits et gestes. Évidemment, ce fut à demeure que l'enfant prit ses cours d'un nombre incalculable de précepteurs tous plus intelligents les uns que les autres, ne connaissant de l'amusement que ce qu'elle-même en apprenait dans les livres. Rapidement, elle se désintéressa de ses études en solitaire pour mieux se pencher sur les nombreux jouets qui tapissaient sa salle de jeux dans laquelle elle s'enferma très rapidement pour ne plus chercher à en sortir.

De ses jeux, la brune apprit tout aussi facilement à en prendre exemple, et c'est avec entrain qu'elle commença à inventer des vies imaginaires à chacune des poupées qu'elle possédait, puis qu'elle réclama le niveau au-dessus, les barbies, à ses parents. Inutile de dire qu'ils étaient bien mal placés pour lui refuser ça, la laissant seule la plupart du temps sans avoir jamais pensé à lui offrir un frère ou une sœur, et c'est sans question qu'elle commença à se constituer une véritable collection de laquelle elle faisait son monde. Dans celui-ci, tout le monde se connaissait, se fréquentait en toute impunité en dehors des murs de sa prison, et c'est ainsi que les inconnus devinrent des amis jouant sur les bancs de l'école puis que les amis, en rentrant dans l'adolescence, devinrent plus intimes. Quelle petite fille n'a jamais fait ça, toutefois ? Comblant le vide à l'intérieur de son cœur en liant les corps de ses bonhommes. Au point, peut-être, de devenir un peu bizarre, ou tout du moins particulière. C'est en tout cas ce que finit par lâcher son professeur de mathématique, alors âgé de vingt-deux ans quand il lui fit découvrir la réalité de ce que son imagination lui avait fait ressentir. C'est donc à treize ans que la demoiselle perdit sereinement sa virginité, qu'elle fit une petite crise pour découvrir l'extérieur, et aussi simplement envoyée dans un collège digne de ce nom afin d'avoir enfin la paix chez elle.

Inutile de dire que c'était une fille parfaite, gentille et polie, toujours intéressée par tout ce qu'elle pouvait apprendre. Assez dévouée pour rapidement devenir la représentante de sa classe, tout en restant aussi douce et humble qu'on pouvait l'attendre d'une personne de sa condition. Sans doute un peu trop réservée en soi, mais cela ne dérangeait pas outre mesure ses éducateurs du moment qu'elle trouvait la force de parler à haute et intelligible voix quand on l'interrogeait. Elle était loin d'être idiote, et se révélait être la meilleure élève de son école, ne révélant absolument rien de susceptible de lui faire perdre de sa crédibilité. Enfin ça, c'était uniquement pour la face féminine de l'établissement qui ignorait tout de son caractère en présence uniquement masculine, la découverte de l'extérieur n'ayant en rien calmé son comportement vis-à-vis de ces derniers. Après tout, il n'y avait rien de mal dans son comportement, n'est-ce pas ? Juste une façon comme une autre de combattre la solitude, sentant la chaleur protectrice de ces garçons et de ces hommes autour de son corps qu'elle sentait beaucoup trop fragile.

Puis vint ce jour qui transforma sa vie. Sans raison, sans prévenir, parce que les choses devaient se dérouler ainsi. Ce qui arriva alors reste encore un sujet sensible, et un secret bien gardé, faute de pouvoir perdre la face dans la haute société. Quoiqu'il en soit, elle fut envoyée dans ce pensionnat, y découvrant une nouvelle cage destinée à, disait-on, son confort. Bah, qu'importe. Tant qu'il n'y a pas que des filles, elle s'en fiche un peu, ce qui fait que même si elle n'a pas voulu venir ici, ça ne lui fait ni chaud ni froid.